Trudeau s’efface : Le choix du moindre mal
Ce qui devait arriver, arriva. Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé lundi qu’il quittera son poste de chef du Parti libéral du Canada (PLC) dès que son successeur aura été désigné. Il demeurera premier ministre jusqu’à ce moment.
Une décision qui arrive avec environ deux ans de retard et devenue urgente depuis la perte de la circonscription de Toronto—St-Paul, en juin dernier. Avoir souhaité que ses idéaux se perpétuent, Trudeau aurait dû permettre l’émergence d’un leadership qui aurait incarné l’alternance à son règne au sein de son propre parti. Mais à force d’attendre, il a plongé son gouvernement, et par extension le Canada, dans une impasse politique et géopolitique difficilement tenable. Aujourd’hui, son départ ouvre la voie à un défi presque insurmontable pour son successeur, qui héritera d’une pente abrupte à remonter en vue des prochaines élections.
En tardant à lâcher le pouvoir, probablement convaincu que son rôle était encore essentiel pour contrer Pierre Poilievre en campagne électorale, Trudeau a bloqué toute transition adéquate au sein du PLC. En fin de compte, cette obstination a nui à tout le monde : à lui-même, à son parti, et à la gouvernance du pays, le tout dans le contexte d’un gouvernement minoritaire en fin de législature.
Dans les circonstances, sa décision de démissionner tout en restant premier ministre jusqu’à la désignation d’un nouveau chef est la moins mauvaise qui s’offrait à lui. Proroger le parlement jusqu’au printemps et assurer une continuité à la tête du gouvernement évite une période d’instabilité à un moment crucial, notamment avec le retour imminent de Donald Trump et la menace de nouvelles tensions commerciales entre le Canada et les États-Unis. Remplacer Trudeau immédiatement par un premier ministre intérimaire (et potentiellement un autre) aurait introduit un flou et une confusion supplémentaires, surtout à la veille d’élections prévues d’ici l’automne prochain, où le grand favori est Pierre Poilievre.
Cette approche cherche à préserver le peu de stabilité politique qu’il reste, une responsabilité fondamentale pour tout chef de gouvernement. Cela dépasse la partisanerie, Trudeau n’ayant de toutes les façons plus vraiment d’amis au PLC. Il est important de permettre aux Canadiens de choisir leur prochain gouvernement dans un contexte où les partis sont en mesure de se présenter sous leur meilleur jour, une condition essentielle à la démocratie. Or, laisser le Parti libéral dans l’état actuel, sans chef ni direction claire, aurait privé les électeurs d’un véritable choix.
Bien sûr, les chances du PLC de remporter les prochaines élections sont minces; une évidence que personne ne conteste. Cependant, un nouveau chef pourrait, au minimum, rendre le parti un brin plus compétitif, laissant aux Canadiens le soin de décider de son avenir. La démocratie repose sur cette capacité à choisir, et toute décision visant à éradiquer un adversaire politique plutôt qu’à simplement le battre soulève des questions sur l’esprit qui règne dans la classe politique du pays.
L’attitude des conservateurs à cet égard est surprenante. Malgré leur avance écrasante dans les sondages depuis plus de 18 mois, leur réaction épidermique face à cette transition libérale trahit une certaine insécurité. Leur objectif semble aller au-delà d’une victoire électorale nette : ils aspirent à effacer le Parti libéral du Canada de l’échiquier politique. Mais est-ce souhaitable pour la démocratie canadienne de voir disparaître un parti aussi central à l’histoire du pays? La disparition du PLC ne ferait qu’accentuer la polarisation : elle positionnerait le Nouveau parti démocratique (NPD) comme seule véritable alternative et, éventuellement, renforcerait le Bloc Québécois et l’option souverainiste.
En fin de compte, Justin Trudeau a non seulement terni sa sortie, mais aussi celle de son parti. Les Canadiens semblent prêts à confier les rênes du pouvoir à Pierre Poilievre et à un gouvernement conservateur. Toutefois, pour que cette transition se déroule dans un cadre politiquement stable, Trudeau a pris la moins mauvaise des décisions.